Un pionnier de 1848

(par Michel BOURGEOIS)

Né à VANNE Claude SERVET a fait partie des pionniers de la colonisation de l’Algérie.

Claude SERVET est né à VANNE le 9 frimaire de l’an V de la République, le 29 novembre 1796 autrement dit. Son père Jean Etienne est agriculteur au village de VANNE où il vit avec son épouse Marguerite, une fille SEGAUX de SOING.

Pour des raisons que l’histoire locale n’a pas retenues, la famille a quitté le village au début du XIXème siècle semble-t-il, et l’on retrouve la trace de Claude SERVET à PARIS en 1823 année où il épouse Jeanne BONVALOT. Claude SERVET y est probablement manouvrier ou artisan, et, que ce soit en spectateur ou en acteur, il traverse à coup sûr les grands événements historiques qui vont agiter les rues de la capitale à cette époque, des journées insurrectionnelles de juillet 1830 jusqu’à la révolution de 1848. Peut-être fait-il partie de ces “misérables” que le talent d’un Victor HUGO a mis en scène dans les ruelles parisiennes et sur les barricades ?

barricade

Est-il aussi un de ces nombreux chômeurs que la révolution de 1848 laissera sur le carreau, notamment à la suite de l’arrêt de l’expérience des ateliers nationaux, c’est très possible. La situation des ouvriers et du petit peuple parisien est catastrophique dans la période de crise économique qui a suivi les événements révolutionnaires et les débuts difficiles de la seconde république.

groupe

Pour donner un espoir aux ouvriers de la capitale, mais aussi pour mettre à distance quelques idéalistes gênants en cette période où les idées sociales cherchent à prendre concrètement racine, le gouvernement de l’époque imagine de leur ouvrir les portes des territoires de l’Algérie récemment conquise par la France et de les y installer en pionniers de la colonisation. Par décret du 19 septembre 1848 il est proposé à tout parisien volontaire une portion de terre de 2 à 10 hectares dans ces nouveaux territoires et une aide matérielle pour s’y installer.

Le projet va concerner plus de 13 000 personnes qui vont quitter PARIS par bateau depuis le port de BERCY au cours de l’automne 1848. Au total 17 convois sont organisés par les autorités, convois qui vont partir de PARIS chaque jeudi et chaque dimanche pendant plusieurs semaines.

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Claude SERVET se porte candidat, il a alors 52 ans, il est veuf, et il voit sûrement dans cette occasion le moyen de sortir de la misère tout en vivant une aventure exceptionnelle à la façon des colons d’Amérique du Nord au siècle précédent (c’est ainsi que la chose leur était présentée). Son fils Nicolas âgé de 19 ans l’accompagne.

Sous le N°1385 ils font partie du 5ème convoi qui largue les amarres au quai saint Bernard le jeudi 26 octobre 1848 à 10h00 du matin. Les partants ont droit au cérémonial instauré pour chaque départ : discours officiels d’encouragement des autorités et bénédiction religieuse des colons et du drapeau français.

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Ce sont 18 chevaux qui tractent ce 5ème convoi composé de 7 bateaux : cinq bateaux sont utilisés pour transporter les 816 passagers (332 hommes, 225 femmes et 259 enfants), et les deux autres sont affectés au transport de leurs bagages. Le voyage se fait sous la conduite du capitaine LOUVAN.

La destination finale de ce groupe de colons est la région algérienne du constantinois située au sud de PHILIPPEVILLE à une trentaine de kilomètres à l’intérieur des terres, dans les villages déja installés de ROBERTVILLE et GASTONVILLE. Le point de chute de SERVET père et fils est la bourgade de GASTONVILLE.

Mais avant d’y parvenir il faut d’abord atteindre MARSEILLE. Le voyage est long et se fait par les canaux du centre de la France jusqu’à CHALONS SUR SAÔNE (canal de Briare, canal latéral à la Loire, canal du Centre). Après 10 jours de voyage plutôt sereins au fil du passage des écluses, on arrive à CHALONS le 5 novembre à 21h00. Le convoi en repart le lendemain à 8h00 pour se diriger vers LYON où il arrive à 15h00, une navigation sur la Saône que Claude SERVET a du vivre avec un peu de nostalgie de son enfance à VANNE. Puis c’est enfin l’arrivée à MARSEILLE le 9 novembre 1848, et l’embarquement sur la corvette à vapeur “L’Albatros” pour la traversée de la Méditerranée.

Claude et Nicolas SERVET et leurs compagnons de voyage posent le pied en Algérie le 13 novembre 1848 dans le petit port de STORA où un accueil chaleureux leur est réservé par les autorités civiles et militaires et par la population. Après cette réception solennelle toute coloniale ils prennent la route pour GASTONVILLE et pour le début d’une nouvelle vie …

Mais l’enthousiasme des colons allait en prendre un coup dès l’arrivée.

rue

Le village n’était pas aménagé pour l’accueil des nouveaux colons et les maisons qui leur étaient destinées étaient encore en chantier, comme toute l’infrastructure du village. C’est à la hâte qu’il leur fallu construire des cabanes de fortune, voire d’infortune dans le cas présent, où ils s’entassèrent dans des conditions déplorables pour s’abriter en urgence. Les terrains étaient à l’état de friches et l’oued Saf-Saf le long duquel se trouvait le village était bordé de marais insalubres.

Tout était à faire et les premiers mois du séjour allaient être rudes.

Et tout allait se faire dès ces premiers mois et dans les années qui suivraient : construction de maisons en dur, défrichage, déboisement, assainissement des marais, mise en culture, creusement de puits, construction d’une école, d’une église, d’un four, aménagement d’une fontaine, etc … le tout avec l’appui technique et sous la protection attentive de l’administration militaire du territoire. Celle-ci sera remplacée à partir de juillet 1852 par une véritable administration municipale, signe d’une implantation consolidée de la colonie de GASTONVILLE.

maison

Mais Claude SERVET ne verra presque rien de tout ça.

Dès les premiers mois de l’arrivée des colons du 5ème convoi, les mauvaises conditions de logement et les carences alimentaires ajoutées au manque d’hygiène et à la proximité des marais infestées de moustiques eurent pour conséquence le déclenchement de graves épidémies qui décimèrent la population : fièvres diverses, dysenterie, paludisme et même choléra. Les nombreux malades étaient dirigés vers les hopitaux militaires de la région et le village se vida presque totalement de ses habitants. En juillet 1849 il ne restait que 50 personnes valides à GASTONVILLE, sur une population de 480 habitants.

Et c’est ainsi que le 11 juillet 1849 Claude SERVET “civil agricole de la colonie de GASTONVILLE” mourait de “fièvre ataxique” (fièvre typhoïde) à l’hôpital militaire d’EL ARROUCH

Fin tragique d’un rêve, 8 mois après son commencement.

Comme d’autres rescapés des épidémies de 1849, son fils Nicolas rentrera en métropole après le décès de son père et restera à PARIS.

Après ces débuts difficiles, le village de GASTONVILLE a repris son développement avec l’arrivée de nouveaux groupes de colons dans les années qui suivirent.

Il porte aujourd’hui le nom de SALAH BOUCHAOUR.